Comme la météo annonce avec insistance l’arrivée très prochaine de l’hiver, j’ai décidé de profiter des derniers rayons de soleil
automnaux pour aller faire une petite escapade dans mon vignoble préféré.
Lorsque les coteaux viticoles prennent des teintes que l’impressionniste le plus exalté n’aurait jamais pu imaginer, chaque
promenade dans les collines sous-vosgiennes est un véritable enchantement.
Le vignoble entre Andlau et Itterswiller sous le soleil d’octobre.
Bien évidemment pour un ivrogne de mon acabit une sortie dans une région viticole déclenche toujours les mêmes symptômes qui se
manifestent par une irrépressible envie de sonner à la porte d’un vigneron pour déboucher quelques bouteilles en sa compagnie.
Andlau en octobre…simplement magnifique !
Baignée dans un océan de vignes qui flamboie de toutes les couleurs de l’automne, Andlau me tente bien, mais comme j’ai un rendez-vous prévu dans quelques jours chez Antoine Kreydenweiss pour parler de ses Grands Crus, je décide de m’engager dans une vallée parallèle en direction des Vosges vers le petit village de Reichsfeld.
Au calme entre vigne et montagne, le village de Reichsfeld
Bernard Bohn est un vigneron-artiste qui se plaît à élaborer des cuvées originales dont certaines m’ont interpelé
récemment, comme ce riesling 2006 élevé en barriques d’acacia ou cette incroyable et inclassable Lumière
de Feu 2004, dégustés lors d’une session du club AOC.
Il n’en fallait évidemment pas plus pour que je choisisse d’aller voir d’un peu plus près le travail de ce producteur de
Reichsfeld.
Le domaine Bohn sur les pentes du Schifferberg.
Bernard Bohn m’accueille devant sa cave et me propose de commencer la visite par une petite balade sur le Schieferberg (la montagne aux ardoises) : un vaste coteau schisteux qui constitue le terroir emblématique de ce village.
Vue enchanteresse sur le Schieferberg
Une coupe géologique naturelle devant une parcelle du domaine Bohn
Géologiquement très ancien, le sol du Schieferberg repose sur une base constituée de schistes de Villé et la couche arable est formée de sables et de
cailloux provenant de la dégradation de la roche mère. C’est un sol pauvre et drainant dont la structure feuilletée permet aux ceps de s’enraciner très profondément.
Un pied de vigne dans le Schieferberg.
Pentu, exposé au sud et avec un sol dont les pierres emmagasinent facilement la chaleur, ce coteau offre à la vigne des conditions idéales pour arriver à pleine
maturité. Verrouillée à l’ouest par l’Ungersberg qui culmine à plus de 900 mètres, cette vallée est particulièrement bien protégée des orages : « l’Ungersberg coupe
les masses nuageuses et les fait dévier vers le sud et vers le nord ».
Le côté sud du vallon est délimité par un massif à base de grès rose sur lequel Bernard Bohn exploite également quelques parcelles, notamment dans le Grand Cru
Muenchberg.
Après cette promenade fort instructive où nous avons profité de quelques points de vues magnifiques, nous revenons vers le domaine et avant de nous installer dans
l’espace dégustation nous faisons un rapide tour dans la cave pour découvrir des espaces de travail très traditionnels dans lesquels Bernard Bohn élabore ses cuvées.
L’entrée de la cave du domaine Bohn
Une partie du cuvage.
Les fameuses barriques d’acacia.
Le pupitre à crémants.
Le coin dégustation
Comme la carte du domaine compte près de 30 références et que ma capacité d’évaluer correctement des vins est toujours aussi limitée, je laisse le soin au vigneron
de me présenter une petite sélection personnelle d’une dizaine de flacons :
Riesling Nature 2010 : le nez est intense et riche sur la mirabelle et le miel avec
une petite nuance iodée, la bouche est avenante avec un toucher bien gras, une acidité noble et une finale longue mais encore un peu marquée par l’élevage.
Issu d’un assemblage entre une parcelle de grès et une parcelle de schistes, travaillé sans soufre et élevé en partie en barriques d’acacia, ce riesling séduit par sa complexité aromatique et sa tenue en bouche très classieuse. Ce fut une cuvée expérimentale pour Bernard Bohn qui avoue sans détour qu’il ne compte pas réaliser ce type de vin chaque année « le travail sans soufre demande des conditions très spéciales qui ne sont pas réunies à chaque millésime »…en ce qui concerne ce vin ouvert depuis 24 heures, j’ai été étonné par son équilibre et sa pureté, même si je pense qu’il faudrait encore lui laisser un peu de temps pour qu’il assimile mieux son élevage si particulier.
Sylvaner Vieilles Vignes 2010 : le nez est franc et précis avec des notes de fruits
blancs et une fine touche pierreuse, la bouche possède une matière qui surprend par son ampleur, l’équilibre est frais et la finale bien pointue livre quelques amers très élégants.
Issu de parcelles de très vieilles vignes sur schistes et sur grès ce sylvaner très complet donne une belle image des
potentialités de ce cépage : avec un terroir qualitatif, des rendements limités et un travail soigné et précis, il surprendra toujours le dégustateur par sa finesse et sa
stature…MIAM !
Vin de France Charbohnnais 2010 : le nez est intense et atypique sur la poire mûre,
les épices avec un fond un peu boisé, l’équilibre est sec et la matière très volumineuse donne une impression de rondeur et de gras, la finale laisse se manifester quelques notes amères très
rafraichissantes.
Avec un nom basé sur un amalgame entre le nom du cépage et celui du vigneron, cette cuvée 100% chardonnay, vinifiée à la
bourguignonne est une des références vraiment atypiques de la gamme du domaine. Exclu de l’appellation Alsace par la nature de son encépagement, ce Charbohnnais est un vin bien réalisé, même si
personnellement je ne suis pas forcément réceptif à son style.
Riesling Grand Cru Muenchberg 2007 : le nez est discret sur les fruits jaunes avec
une petite touche exotique (mangue), en bouche on est agréablement surpris par l’onctuosité de la texture et par une présence physique qui s’amplifie pour donner une vraie impression de puissance
en finale.
Comme tous les grands vins de 2007, ce Muenchberg commence sa phase de plénitude où la matière se pose avec assurance tout en
laissant poindre les premières nuances minérales.
Riesling Schieferberg 2007 : le nez est fin et délicat avec des notes florales et
miellées, en bouche il affirme une structure solide, volumineuse et très verticale, la finale bien longue laisse une petit impression tannique et révèle une belle salinité.
Moins expressif au plan aromatique mais plus profond et plus complexe que le Grand Cru ce riesling prouve que ces sols schisteux
de Reichsfeld sont capables de générer de très belles cuvées et auraient surement mérité de figurer dans la liste des terroirs classés alsaciens.
Riesling Oberhagel 1997 : le nez est délicat sur le miel et les fleurs, en bouche la
minéralité se manifeste dès l’attaque et se déploie pour marquer l’aromatique avec des notes de zeste, de camphre et de graphite, la finale est droite avec une allonge toujours très minérale où
le silex et l’iode apportent une touche de complexité supplémentaire à la palette.
Exposée plein sud et très pentue, l’Oberhagel est l’un des secteurs les plus qualitatifs du Schieferberg. Ce riesling d’une quinzaine d’années donne une idée de la puissance minérale de ce terroir et de sa capacité à engendrer des vins qui résistent vaillamment face au temps qui passe…émouvant !
Au dessus du chemin, la parcelle de riesling de l’Oberhagel du domaine Bohn.
Pinot Gris Schieferberg 2007 : le nez est flatteur et très gourmand sur la fumée, les
fruits jaunes mûrs et les épices, la bouche possède une matière généreuse tenue par une acidité très verticale et offre un très beau développement aromatique.
Ouvert et très complexe cette cuvée de pinot gris montre que les schistes ne réussissent pas qu’au riesling : malgré une
silhouette très dodue ce vin bénéficie d’une présence minérale qui le rend particulièrement sapide…MIAM !
Riesling Schieferberg-Barriques d’acacia 2010 : le nez intense mais encore un peu
décousu se partage entre des arômes d’agrumes de toute beauté et la marque de cet élevage très particulier, en bouche on apprécie la qualité de la matière et on assiste à nouveau au dialogue
encore un peu cacophonique entre la puissance du fruit et le marque du bois.
Le jus est de très grande qualité mais l’élevage 100% barriques d’acacia est encore très présent…personnellement je goûte cette
cuvée avec un réel plaisir tout en étant convaincu que quelques années de garde lui conféreront un côté plus apaisé et plus harmonieux…patience !
Pinot Noir Tradition 2009 : le nez intense et d’une grande franchise est dédié à 100% à la cerise, la bouche est très guillerette avec une matière gouleyante et une palette qui se développe encore un peu plus, tout en s’enrichissant de quelques notes d’amande en finale (un peu amaretto).
Récolté sur des terroirs gréseux ce pinot noir est un vrai séducteur : expressif, glissant et très facile d’accès. Les esprits chagrins y verront surement un peu trop de facilité mais moi j’ai craqué…une fois de plus hélas !
Pinot Noir Les Roches Rouges 2007 : le nez est discret mais plus complexe, on y
devine des notes de fruits noirs (griotte, mûre, cassis) et de réglisse, la bouche révèle une matière pleine et riche avec un boisé parfaitement intégré et une finale où on perçoit une solide
charpente tannique.
Ce pinot noir élevé 10 mois en barriques est issu parcelles de grès (80%) et de schistes (20%). Son ossature très solide et sa
chair généreuse appellent une table bien garnie : aucun doute, c’est un vin rouge de gastronomie.
Muscat d’Alsace Rosé 2010 : le nez est flatteur et complexe avec des notes de raisin
mûr et de fraise des bois complétées par de délicates nuances florales, la bouche est fraîche mais assez puissante avec une aromatique qui s’intensifie et une finale très élégante sur les petits
fruits rouges.
Issu exclusivement de raisins de muscat d’Alsace noirs (dont j’ai récemment découvert l’existence d’ailleurs…), égrappés et travaillés
comme le pinot noir rosé, ce vin surprend avec sa robe rose-orangée et sa palette un peu déroutante. Il n’en reste pas moins qu’avec sa structure équilibrée et sa texture glissante cette cuvée
d’une gourmandise absolue vous fera craquer à coup sûr !
Crémant Cuvée Millésimée 2003 : le nez est très raffiné sur les fruits blancs très
mûrs (presque compotés) et la brioche, la bouche est splendide avec une bulle abondante et d’une finesse extrême, le toucher est onctueux et les arômes s’épanouissent, la finale nette et
fringante laisse persister longuement un sillage aromatique d’une grande complexité.
Cet assemblage à base de chardonnay et de pinot noir (à parts égales) complété par une pointe de riesling a été travaillé à
l’ancienne avec des levures champenoises traditionnelles « Elles précipitent moins vite et demandent un remuage plus long, c’est pour cette raison que je fais cette opération
manuellement ».
Elevé sur lattes durant 9 ans, ce crémant est un pur bonheur…peut-être l’un des plus aboutis qu’il m’ait été donné de déguster
jusqu’ici. Un grosse claque !
Lumière de Feu 2004 : le nez est fin et évolutif avec une palette très complexe sur
les fruits jaunes mûrs, la noisette, la violette et une touche un peu rancio, la bouche est ample et grasse avec un côté velouté très agréable qui enrobe une colonne vertébrale assez solide pour
soutenir cet ensemble très riche et pour donner un caractère net et frais à la finale.
Cette cuvée inclassable est conçue à partir d’un assemblage de 3 cépages (60% de gewurztraminer, 30% de riesling, 10% de pinot
gris) élevés durant 5 années sur beaucoup de lies sans ouillage durant les quatre dernières années. « J’ai voulu faire un vin pour réunir deux vignobles voisins, l’Alsace et le
Jura »
Le gewurztraminer a été choisi naturellement en tant que cousin du savagnin, le riesling pour apporter la structure et le pinot
gris un peu de chair supplémentaire « Je n’aime pas trop le côté oxydatif trop prononcé des vins jaunes, c’est pour ça que j’ai choisi de procéder à un ouillage régulier durant la première
année. Le voile s’est formé durant les 4 années suivantes ».
Au final, nous nous retrouvons en présence d’un vin qui va déconcerter les puristes des deux régions mais qui traduit bien l’état
d’esprit de ce vigneron créatif qui n’a pas peur de prendre des risques pour innover.
En ce qui me concerne, je goûte une nouvelle fois avec beaucoup de plaisir cette Lumière de Feu, dont la richesse et l’originalité
illumine mes papilles…ça y est je commence à faire de la poésie à deux balles, l’effet du vin sans nul doute !!!
Riesling Grand Cru Muenchberg V.T. 2000 : le nez est assez discret sur les agrumes
bien mûrs, en bouche on sent que le temps a bien patiné la richesse originelle de ce vin qui se goûte presque sec et qui continue à libérer des arômes d’agrumes et de zestes confits tout en
laissant pointer quelques notes plus exotiques (ananas, mangue), la finale est équilibrée et très digeste.
Avec ce Muenchberg V.T. je reviens vers des sensations plus conventionnelles tout en restant impressionné par la manière dont
cette cuvée initialement moelleuse a évolué dans le temps.
Encore au tarif actuellement, cette bouteille permet de découvrir (sans se ruiner d’ailleurs…) un Grand Cru de riesling V.T. dans
sa phase de plénitude.
La Délicieuse 2007 : le nez assez intense expose une jolie palette exotique et
délicatement épicée (gingembre, poivre blanc), la bouche est ample avec du gras et une acidité bien large qui se tend un peu plus fermement en finale.
Cette cuvée moelleuse est issue d’un assemblage de gewurztraminer (60%) et de pinot gris (40%) que Bernard Bohn a choisi de
vendanger et de vinifier ensemble. « L’assemblage apporte une touche de complexité supplémentaire aux cuvées moelleuses et la fermentation commune permet de gagner en
harmonie ».
Encore jeune mais déjà terriblement séduisant…GRAND MIAM pour finir !
Pour conclure :
- La rencontre de cet après-midi avecBernard Bohn fait partie de ces moments qui me rappellent
pourquoi j'aime ce petites escapades dans les vignobles d'Alsace ou d'ailleurs.
Vigneron passionné et novateur il dit qu’il conçoit ses vins comme un artiste peint ses toiles : il considère les
cépages, les terroirs, les techniques de vinification, les types d’élevage…
comme une palette où il trouve les d’éléments avec lesquels il va créer ses vins.
Bernard Bohn avoue sans détour qu’il fait avant tout des vins qui lui plaisent : « Comme Reichsfeld se situe
bien à l’écart de la Route des Vins je ne me sens pas obligé de produire des vins pour séduire des touristes de passage ».
Et pourtant ce vigneron vend près des ¾ de sa production au domaine à des clients particuliers : « Les amateurs
de vin ne viennent pas chez moi par hasard, s’ils sonnent à la porte de ma cave, c’est qu’ils savent déjà un peu ce qu’ils vont y trouver ».
On ne saurait être plus clair !
- Riche, éclectique et originale la gamme de vins du domaine Bohn nous propose des cuvées assez classiques et d’autres
plus « expérimentales » mais l’ensemble porte la marque d’une très grande homogénéité qualitative.
La viticulture de Bernard Bohn est exigeante et éco-responsable : enherbement naturel, pas de labour (utilisation du
Rolofaca), peu de passage mécanique dans les vignes, pas d’engrais chimiques, taille courte et ébourgeonnage sévère et bien sûr, vendanges manuelles.
En cave, le pressurage avec un pressoir mécanique traditionnel permet d’extraire des jus très riches qui fermenteront sous
l’effet exclusif des levures indigènes, l’élevage se fait durant plusieurs mois sur lies fines dans des contenants que le vigneron va choisir pour donner son style à chaque
cuvée.
Créateur de vins de caractère qui demandent quelques années de garde pour s’exprimer pleinement, Bernard Bohn a pour
habitude de commercialiser ses vins lorsqu’il estime qu’ils sont prêts à boire, de ce fait on trouve de nombreux millésimes en vente au domaine…une aubaine pour tous ceux qui ne peuvent pas
stocker des bouteilles chez eux.
- Pour les coups de cœur du jour, je choisirai en premier le crémant millésimé 2003 qui m’a subjugué par la complexité de
son aromatique et la noblesse de sa texture en bouche, une bouteille à moins de 12 euros qui, a mon humble avis, mettra KO bon nombre de cuvées champenoises.
En second lieu, j’aimerais mettre en avant les créations originales de ce vigneron comme La Délicieuse, Lumière de Feu ou
le Riesling Schieferberg 2010 : des vins qui vont à coup sûr segmenter une assemblée de dégustateurs mais dont l’énergie positive et le caractère original ont un peu bousculé quelques unes
de mes idées reçues pour finir par me séduire définitivement.
- Mille mercis à Bernard Bohn pour sa disponibilité et sa gentillesse.
Dernière vue sur le coteau du Schieferberg.