Cette Masterclass Alsace que Thierry a programmé en plein mois d’août retrouve ses locaux habituels dans l’espace dégustation de
la maison Wolfberger à Colmar.
Au dehors, la chaleur est écrasante, mais fort heureusement la salle est climatisée et les bouteilles de blanc sont bien
fraîches…tout est prêt pour aborder dans les meilleures conditions les deux thèmes d’étude choisis pour cette session :
- Y-a-t’il un lien de dépendance entre terroir et concentration ?
- 9 vins pour revenir sur le millésime 2000.
Le premier thème nous permettra de comparer des vins issus du même millésime mais de terroirs différents : nous dégusterons 5
paires de vins issus des millésimes 2010, 2005, 2002 et 2000 en essayant de détecter lequel provient de l’origine la plus noble.
Le second thème nous fera remonter au début de notre siècle avec une série de 9 flacons qui nous permettrons de situer le niveau
de quelques belles quilles alsaciennes après plus de 10 ans de garde.
Masterclass Alsace du 18 août 2012 à Colmar
Les bouteilles sont dégustées et commentées à l’aveugle, mais pour faciliter la comparaison, le millésime des vins de la première série est annoncé – verres INAO.
Thème 1 : terroir et concentration.
Riesling Clos de la Folie Marco 2010 – Domaine Hering à Barr : le nez est léger et
plaisant avec des notes de poire et de mirabelle, en bouche la structure est assez ondulante avec un côté très aérien, mais la finale est nette et assez nerveuse.
Riesling G.C. Schlossberg 2010 – Domaine Weinbach à Kaysersberg : le nez est franc et
intense sur les agrumes mûrs (orange, pomelo), la bouche possède une matière riche, l’acidité très longue donne une grande profondeur à la structure, la finale déjà bien longue continue de livrer
des arômes d’agrumes.
Voilà un premier couple qui pose le problème avec beaucoup d’à propos : d’un côté un riesling subtil et presque un peu
atypique (même si je l’ai trouvé un peu moins tonique que lors d’une précédente dégustation), de l’autre un monstre de puissance avec une aromatique très monolithique.
Difficile de ne pas reconnaître la différence de concentration entre ces deux cuvées mais le Schlossberg reste encore dominé par
la marque du cépage. Ce grand terroir granitique aura besoin de quelques années de garde pour exprimer le message du terroir, le Clos de la Folie Marco situé au bas du Grand Cru Kirchberg montre
une olfaction déjà plus affinée mais un niveau de concentration bien inférieur.
Sylvaner 2005 – Domaine Weinbach à Kaysersberg : le nez est discret avec un registre très
empyreumatique (fumée, conduit de cheminée), en bouche la matière est pure, la structure est bien construite et la finale est assez longue et légèrement poivrée.
Sylvaner Mittelbergheim 2005 – Domaine A. Seltz à Mittelbergheim : le nez est très
discret avec des notes d’abricot confit et de fleurs, la bouche est rondouillarde, presque un peu lourde, la finales est un peu courte.
Verdict mitigé pour ces deux vins avec un premier à l’aromatique peu avenante mais montrant une très belle tenue en bouche, le
second, très flatteur au nez semble particulièrement fatigué… Le terroir de galets roulés du Clos de Capucins donne davantage de structure à ce cépage que les coteaux marno-calcaires de
Mittelbergheim…mais il me semble que ces deux vins ont dépassé leur apogée depuis quelques temps.
Riesling Schenkenberg-Vieilles Vignes 2002 – Domaine Seilly à Obernai : le nez est
plaisant et complexe sur le miel, la résine et les fruits blancs très mûrs, la bouche est ronde mais avec une structure un peu chancelante et une finale bien courte.
Riesling G.C. Geisberg 2002 – Domaine Kientzler à Ribeauvillé : le nez est vif et
précis sur les zestes d’agrumes avec une délicate touche florale, la bouche est très bien définie, l’acidité assez incisive est contrebalancée par une matière dense, la finale longue et minérale
révèle quelques amers très nobles.
Le Grand Cru domine haut la main ce duel très intéressant et d’un beau niveau, sans forcément répondre à notre question :
après 10 ans de garde, le style Kientzler marque surement autant ce vin que le terroir marno-calcaire du Grand Cru…mais en tous cas, aujourd’hui c’est une vraie belle
quille !
Pinot blanc Zellenberg 2000 – Domaine Tempé à Zellenberg : le nez très discret garde
son mystère malgré une aération énergique (crampes au poignet à force de tourner le verre…), la bouche est assez belle avec un beau gras, une matière concentrée et une finale un peu courte qui
révèle quelques notes lactiques.
Auxerrois H 2000 – Domaine Josmeyer à Wintzenheim : après une légère touche de
réduction, le nez livre quelques belles notes florales, la bouche est nettement plus structurée et plus tendue que celle du vin précédent mais la finale flanche très nettement avec une aromatique
un peu douteuse (amertume, liège).
Issu d’une parcelle d’auxerrois située dans la plaine au pied du Mambourg, le vin de Marc Tempé tient encore le coup et domine
facilement la fameuse cuvée H récoltée sur le Grand Cru Hengst, visiblement pénalisée par un défaut de bouchage.
Pinot gris Herrenweg-Cuvée Vieilles Vignes 2000 – Domaine Zind-Humbrecht à
Turckheim : le nez est flatteur et gourmand avec un registre un peu « pâtissier » sur l’abricot mûr, le miel et la noisette grillée, la bouche est ample,
délicatement moelleuse et la finale assez longue possède un équilibre bien tonique.
Pinot gris G.C. Pfersigberg 2000 – Wolfberger : le nez est agréable sur le miel et
les fleurs, la bouche est légère mais la finale très courte avec une amertume assez disgracieuse déçoit un peu.
Avec la dernière paire de protagonistes, le duel est facilement remporté par le Herrenweg : cette cuvée très concentrée (15°
et 29g de SR) issue d’un terroir alluvial situé dans la plaine près de Colmar montre encore une très belle présence après 12 ans de garde, face à cette bouteille le Grand Cru fait une bien piètre
figure et révèle un état de fatigue avancé.
En conclusion :
- Dans cette petite série assez parlante on se rend compte qu’en règle générale, la concentration d’un vin dépend
davantage du vigneron que du terroir. Cette composante qui pèse considérablement (à tort ou à raison d’ailleurs… !) sur l’impression de qualité laissée par un vin traduit surtout l’effet de
la main de l’homme dans les différentes étapes de l’élaboration de ce vin : conduite de la vigne, maîtrise des rendements, choix de la date des vendanges et pratiques œnologiques en
cave.
La signature du terroir se détecte peut-être plus dans la complexité des arômes et de la structure ressentie lors de la
dégustation…mais ce critère est sûrement plus difficile à noter, sans compter que certains crus demandent une longue garde avant d’exprimer la marque de leur
origine.
- Pour le coup de cœur, je retiendrai sans hésiter le riesling Geisberg 2002 de Kientzler, insolent de jeunesse avec un
accessit pour le Schlossberg 2010, massif mais très bien équilibré qui fera surement parler de lui dans quelques années.
Thème 2 : comment vont les 2000 ?
Riesling Tradition – Domaine Hugel à Riquewihr : le nez est discret, peu avenant avec des
notes bizarres de caoutchouc et une touche végétale, la bouche est assez agréable mais la finale semble douteuse.
Riesling G.C. Frankstein – Domaine Beck-Hartweg à Dambach la Ville : le nez est
délicatement miellé mais la bouche est assez insipide un peu aqueuse, la finale est courte et amère.
Ouch !!! Voilà une entame de série qui ne pousse pas forcément à l’optimisme !
Face au Hugel, l’assemblée est partagée : défaut de bouchage pour certains ou grave déficit de maturité pour
d’autres…personnellement je penche pour la seconde hypothèse.
Pour le Frankstein, le diagnostic est unanime et sans appel : le vin est définitivement mort !
Riesling G.C.Schoenenbourg – Domaine Dopf au Moulin à Riquewihr : le nez est très
élégant avec une palette florale complétée par de délicates notes de citron et d’anis, la bouche possède un équilibre sec mais avec une matière particulièrement suave, l’acidité s’élargit pour
donner une belle fraîcheur à la finale.
Riesling Clos Häuserer – Domaine Zind-Humbrecht à Turckheim : le nez est discret avec
un caractère très minéral, des notes de pierre à feu et de fumée se révèlent progressivement après oxygénation, la bouche est concentrée avec une acidité mûre et puissante, la finale très saline
laisse une légère impression tannique.
Cette seconde paire de rieslings à de quoi rassurer tout le monde : avec son élégance presque aristocratique le Schoenenbourg
est un vrai bonheur, quant au Clos Häuserer (un clos situé sous le G.C. Hengst) sa matière concentrée et sa force minérale m’avaient emmené bien plus au sud, sur les pentes abruptes du Rangen. En
tous cas, un superbe binôme avec des personnalités bien différentes mais d’un niveau qualitatif exceptionnel.
Pinot gris Réserve Personnelle – Domaine Trimbach à Ribeauvillé : des notes liégeuses
au nez, confirmées en bouche.
Pinot gris G.C. Kitterlé – Domaine Schlumberger à Guebwiller : le nez est expressif
sur un registre un peu pâtissier sur le pralin, le citron confit et la pâte de coing, la bouche est généreuse avec du moelleux et un beau gras, le toucher est onctueux et la finale bien nette et
finement acidulée livre quelques notes fumées.
Avec une surmaturité évidente tant au nez qu’en bouche ce pinot gris Kitterlé a su garder une certaine élégance dans sa
silhouette. Cette cuvée est vraiment une belle réussite…et qui tient encore très bien la route après 12 ans de garde.
Le Trimbach est hélas victime d’un bouchon défectueux.
Gewurztraminer G.C. Wineck-Schlossberg – Domaine V. Spannagel à Katzenthal : le nez
allie un registre floral bien complexe et un fruité encore très frais, la bouche est onctueuse et délicatement moelleuse, la finale se prolonge longuement sur des notes d’agrumes et de
poivre.
Gewurztraminer Altenbourg-Cuvée Laurence – Domaine Weinbach à Kaysersberg : franchement
bouchonné.
Le terroir granitique du Wineck-Schlossberg étant très largement dédié au riesling, j’ai été vraiment étonné de croiser ce
gewurztraminer particulièrement réussi : une jolie complexité aromatique et une tenue en bouche d’une grande distinction…Bravo !
Cette cuvée Altenbourg bien flinguée par une déviance liégeuse très prononcée clôt la série des grandes maisons victimes de
bouchages défectueux.
Riesling G.C. Kastelberg S.G.N. – Domaine des Marronniers à Andlau : le nez est délicat et
complexe sur le miel, les épices et les herbes aromatiques, le toucher de bouche est très velouté mais l’équilibre reste assez tonique, la finale est longue et marquée par un sillage safrané très
raffiné .
La palette est riche et racée et la structure en bouche offre une belle sensation d’harmonie et de plénitude…voilà une bien belle
bouteille débouchée dans sa phase de pleine maturité. MIAM !
En conclusion :
- Comme il fallait s’y attendre 2000 a été le millésime de tous les fantasmes : première année du XXI° siècle pour
certains ou dernière du XX° pour d’autres, en tous cas les attentes par rapport à ce millésime étaient considérables…d’autant plus que dans le vignoble bordelais on annonçait une très belle
vendange.
En Alsace l’année fut précoce avec un été très mitigé mais un retour durable du soleil en septembre-octobre. Les raisins
pour le crémant on été rentrés à partir du 11-septembre et ceux pour les autres vins à partir du 21. Vendangées à partir du 2 octobre les V.T et S.G.N. sont plutôt issues de raisins passerillés,
le botrytis s’est développé de façon plus ponctuelle dans certain secteurs du vignoble alsacien.
- Comme nous le montre cette série de 9 vins, 12 ans plus tard les bouteilles de ce millésime historique montrent une
qualité assez hétérogène. Le tiers de la série est flingué par un problème de bouchon : manque de chance ou choix d’un bouchon non adapté à une longue garde…avec ce pourcentage de ratés, la
question se pose. Mis à part le Frankstein les autres vins se tiennent très bien et se dégustent avec plaisir aujourd’hui. Ceci dit, j’avais quand même l’impression que l’apogée était dépassé
pour la plupart des vins…mais je crois qu’avec l’âge j’ai du mal avec les « vieux » !!!!
- pour le coup de cœur, je choisirai le second couple de rieslings : d’un côté une élégance fragile mais pleine de
séduction et de l’autre la force qui impose le respect…deux belles émotions !
- Merci à Thierry de continuer son œuvre pédagogique pour les amateurs de vins d’Alsace…et vivement ma prochaine
session !
Le trio victime d’un bouchage défectueux...comme quoi, même les grands ne sont pas épargnés !