La fonction de chauffeur attitré de la famille n’est pas de tout repos : après une saison de handball où j’ai
véhiculé mes deux héritiers jusqu’aux confins de l’Alsace, je pensais profiter d’une période de répit bien méritée avant notre grande migration estivale vers le
sud.
Hélas, notre aîné en a décidé autrement : « J’ai un stage BAFA et surveillant de baignade dans le
71 »…chouette, c’est un département qui sent bon le vin... « la ville s’appelle Sanvignes les Mines »…malédiction, le nom ne laisse aucun doute, ce n’est pas du bon côté de la
montagne !
En même temps, j’ai déjà deux visites programmées en 2011 dans cette belle région et ma cave bourguignonne est encore bien
garnie…je vais donc plutôt profiter du retour pour faire une petite escapade dans le vignoble jurassien.
Suivant les conseils de Thierry Meyer (eh oui, il s’occupe aussi du Jura à ses heures perdues !) je choisis de
m’arrêter à Montaigu, un petit village perché sur les hauteurs de Lons-le-Saunier, pour une visite au domaine Pignier.
Montaigu, vu depuis Lons-le-Saunier…le domaine Pignier, c’est la première maison sur la droite
Depuis 7 générations, la famille Pignier travaille des parcelles de vignes implantées sur les coteaux autour de Montaigu,
dans un environnement typique de reculées jurassiennes, sur un terroir de marnes argilo-calcaires du lias et du trias. Aujourd’hui ce domaine qui a fait le choix de la bio-dynamie depuis 2002,
exploite 15 hectares de vignes et commercialise une vingtaine de cuvées en AOC Côtes du Jura.
L’entrée du domaine
Le caveau de dégustation ouvert du lundi au samedi de 9h à 12h et de 14h à 19h, constitue le point de vente principal des
produits du domaine Pignier. Il est aménagé dans un esprit convivial et chaleureux et permet aux clients de passage de goûter tranquillement toute la gamme des vins au tarif
actuellement
Pierres et mobilier traditionnel dans le beau caveau du domaine Pignier.
Madame Pignier me propose de commencer ma dégustation par un verre de crémant avant de goûter les vins rouges…c’est parti :
Crémant brut : le nez est avenant et frais avec de belles notes de pomme et de fleurs blanches, la
bulle est abondante et fine, très crémeuse, l’équilibre en bouche reste bien frais et la finale revient sur une palette florale avec une petite pointe d’amertume.
Les chardonnays qui sont à la base de cette cuvée viennent de la reculée de la Sorne sur le versant sud du coteau de Montaigu et
ont été vendangés en 2009. Après 15 mois sur lattes ce crémant dégorgé récemment est un vrai plaisir pour les papilles : une belle trame aromatique et une structure vive et élégante, on en
redemande !
Poulsard 2010 : le nez est net et charmeur sur les petits fruits rouges, la bouche est très légère
avec une finale qu’une petite amertume rend un peu austère.
Issu d’un terroir argilo-calcaire ce vin séduit par son registre aromatique mais souffre d’un léger déficit de maturité en
bouche…la rigueur du millésime 2010 a marqué profondément les cuvées rouges dans cette région.
Trousseau 2008 : le nez se situe dans le même registre que le poulsard, frais, fruité, très cerise,
la bouche est légère avec une trame tannique fine et soyeuse, la finale marquée par des notes végétales et discrètement épicées possède une belle allonge.
Issu du lieu-dit « Gauthières » (marno-calcaire) ce Trousseau témoigne également d’un niveau
de maturité un peu limite mais il se livre aujourd’hui avec simplicité et élégance.
Trousseau Les Gauthières 2009 : le nez est intense avec des arômes de fruits noirs, de
réglisse et une légère touche fumée, la bouche séduit par une mâche très gourmande et une matière mure et concentrée.
Avec son olfaction raffinée et sa très belle présence en bouche, cette cuvée « Nature » (sans SO2 ajouté) est à mon goût
le vin le plus réussi de la série des rouges…2009 a été un très beau millésime pour cette couleur dans le Jura.
Pinot noir 2008 : le nez est discret mais d’une finesse fruitée très avenante, la bouche se montre
fraîche et équilibrée avec de beaux arômes de griotte acidulée en finale.
Issu de parcelles calcaires situées en haut de coteau, ce pinot noir se distingue par la qualité de sa structure et sa pureté
aromatique…jolie réussite sur un millésime réputé un peu austère pour les vins rouges du Jura.
Après ce petit tour d’horizon sur un couleur que je n’ai jamais trop goûtée dans le Jura, nous passons aux vins blancs :
Chardonnay A la Percenette 2008 : le nez est très aérien avec une palette d’une grande
suavité, un fruité fin et des notes de fleurs blanches, la bouche est toute en élégance, la matière est équilibrée, le toucher très plaisant et la finale délicatement vanillée possède une
longueur confortable avec une belle fraîcheur et de petites nuances minérales.
Sur ce terroir de marnes sur schistes le chardonnay s’exprime avec pureté et raffinement : élevée durant 12 mois en fûts
cette cuvée ouillée magnifie l’expression de ce cépage sur les terres jurassiennes…un régal !
Savagnin Sauvageon 2009 : le nez est élégant et complexe avec des fruits blancs et
quelques notes d’épices, la bouche est charnue avec un toucher très gourmand et une structure bien relâchée, la finale est très belle, citronnée et finement vanillée.
Cette cuvée de savagnin ouillée et élevée 18 moins en pièces bourguignonnes a vraiment de quoi nous surprendre : rien à voir avec les savagnins traditionnels non-ouillés, l’olfaction est délicate et la présence en bouche légère et raffinée, rien à voir avec l’esprit des énergumènes jadis stigmatisés par J.P. Chevènement, ce vin n’est que caresse et subtilité…MIAM !!!!
Chardonnay Cellier des Chartreux 2007 : le nez est riche et très complexe, sur un fond
floral délicat viennent s’ajouter des notes d’humus et de muscade issues de cet élevage très particulier, la bouche est splendide, puissante, équilibrée avec une acidité très large et une finale
où apparaissent de belles notes de fruits secs et d’épices, et quelques évocations minérales très nobles.
Cette cuvées a été conçue à partir de chardonnays provenant du vignoble du Boivin (terroir marneux), élevée 3 ans en fûts (1 an en
foudres et 2 ans en pièces) sans ouillage. Je l’ai regoûtée dès mon retour en Alsace…rien à rajouter, c’est magnifique !
Savagnin 2006 : le nez est intense avec un type jurassien affirmé, fruits secs et épices, la bouche
est puissante avec une petite pointe amère qui donne une belle sapidité à l’ensemble, la finale se prolonge longuement sur la noix verte et les épices.
Des savagnins sur un terroir marneux élevés durant 4 ans en pièces, sans ouillage et sous voile ont généré ce vin qui assume son
accent local et qui se distingue par sa longueur aromatique exceptionnelle.
Avant de passer au vin jaune Mme Pignier me propose de me joindre aux deux autres clients de passage pour visiter leur cave datant du XIII° siècle : cette
étape m’ayant été chaudement recommandée par Thierry, je n’hésite pas à lâcher mon verre pour emboîter le pas à ce petit groupe et descendre à la rencontre des profondes racines historiques du
domaine Pignier.
Un escalier d’une bonne trentaine de marches de calcaire patiné par les années nous conduit dans une espace impressionnant où barriques et foudres sont alignées
sous des voûtes de cathédrale gothique…époustouflant !
Le long escalier qu’on descend pour remonter le temps…
Les voûtes de la cathédrale du vin.
Il y a plus de 7 siècles, les moines Chartreux plantèrent de la vigne sur les coteaux de Montaigu et édifièrent, à flanc de montagne, ce cellier protégé par des
murs de près de 2 mètres d’épaisseur, pour faire vieillir leur vins dans un lieu propice où la température reste constante et bien fraîche (11 à 12° toute l’année).
La futaille du domaine Pignier : pièces bourguignonnes et foudres.
Après la Révolution, le vignoble et la cave devinrent la propriété de la famille Pignier et quelques générations plus tard leurs descendants sont toujours aux
commandes, animés par cette même volonté de mettre en valeur les terroirs de Montaigu tout en conservant la mémoire historique de ce domaine.
Au fond de la cave la réserve de vieux flacons du domaine…il y aurait même quelques centenaires cachés sous les toiles
d’araignée.
La remontée vers le caveau se fait par une porte dérobée et un escalier très étroit.
De retour au XXI° siècle, je me réinstalle à ma table pour finir ma dégustation par un verre de vin jaune :
Vin Jaune 2004 : le nez est très intense avec une grande complexité aromatique, noix, épices,
girolles et notes minérales, l’équilibre en bouche est très sec mais la matière est opulente avec un très beau gras, la finale qui tient bien au-delà des 30 caudalies offre un retour sur la noix
verte et le safran.
Vieilli plus de 6 ans en pièces sous voile ce monstre jurassien a un caractère impétueux mais très racé…c’est un grand vin sans
aucun doute mais sa force et son profil aromatique peuvent choquer les palais sensibles...vous voilà prévenus !
Le domaine Pignier propose une gamme complète de vins du Jura avec une exigence de qualité sans faille. Assise sur une
tradition séculaire cette exploitation isolée dans le petit village de Montaigu met en œuvre des méthodes culturales respectueuses de l’environnement (AB et DEMETER) pour produire des cuvées
ciselées avec précision et particulièrement élégantes. Le dosage très faible de SO2 (de 0 pour certaines cuvées rouges à 50 – 60 mg pour les blancs) donne aux vins un côté très serein en bouche
qui les fait se livrer avec une vraie amabilité tout en gardant la marque profonde du terroir.
Difficile, voire impossible de résister…et pourquoi d’ailleurs le ferions nous ?
La cave historique, dont la visite justifie largement la petite escapade sur les hauteurs de Lons le Saunier, est utilisée
telle qu’elle a été construite au moyen-âge…cette plongée dans le passé est impressionnante, à tel point qu’on peut facilement imaginer que l’esprit des moines Chartreux pénètre encore les nobles
breuvages qui y reposent.
Comme je le prône depuis toujours : je crois que pour comprendra totalement les vins du domaine Pignier, il faut
avoir respiré l’air sous ces voûtes ancestrales…
Les vins blancs sont absolument splendides, pour les rouges je serai un peu plus mitigé : bien évidemment, leur
conception est irréprochable mais hormis la cuvée « nature » de 2009, les autres vins issus de millésimes plus froids souffrent quand même d’un petit déficit de maturité. Ces rouges
montagnards sont à réserver aux amateurs de vins légers et fruités mais rustiques.
S’il faut isoler un coup de cœur parmi cette gamme de blancs que j’ai particulièrement appréciée, je choisirai peut-être
le Sauvageon 2009 pour la pureté et l’originalité de son expression…mais, sur un registre plus jurassien, la cuvée Cellier des Chartreux 2007 est vraiment
incontournable.