Périple sudiste 2011
Avec des vacances estivales prévues en Ardèche mais sans ma traditionnelle incursion en terre languedocienne, je me vois
donc dans l’obligation de prévoir un petit périple sudiste durant ces congés printaniers. Il y a bien sûr des bouteilles réservées à récupérer du côté d’Aniane et d’Arboras mais ce sera aussi l’occasion de rendre visite à quelques vignerons que je n’ai plus
rencontré depuis bien longtemps, comme les Bonnefond en Côte Rôtie ou les Dupéré-Barrera du côté de Toulon.
C’est parti !
Daumas Gassac : visite avec Roman Guibert
Je connais les vins du Mas de Daumas Gassac depuis près de 20 ans et je suis un client régulier du domaine depuis le millésime 1996.
Crée au début des années 70 par Aimé Guibert, cette exploitation viticole s’est lancée dans une politique ultra qualitative au niveau des travaux à la vigne et en
cave pour élaborer une gamme de vins ambitieuse vendue à des prix très élevés pour cette région.
Ces crus admirés et convoités dans les années 1990-2000, suscitent souvent le polémique aujourd’hui : trop chers, surfaits, moins aboutis qu’avant, des vins de
communicant plus que de vigneron…des critiques vives et insistantes qui m’ont décidé à faire une visite plus complète de ce domaine.
J’ai contacté Daumas Gassac en expliquant mon projet et j’ai obtenu très rapidement un rendez-vous avec Romain Guibert, l’un des fils du fondateur, qui a rejoint
l’équipe du domaine en 2002.
Arrivé avec un quart d’heure d’avance je suis invité à me rendre dans la salle de dégustation : c’est tellement plus agréable d’attendre avec un verre à la
main…
Vue sur une partie de l’espace dégustation de Daumas Gassac
En guise de mise en bouche je goûte quelques cuvées de la production Moulin de Gassac, une gamme de vins plus modestes conçus en collaboration avec
les vignerons de la cave de Villeveyrac et de Paulhan :
Faune 2010 : le nez est délicatement fruité, la bouche associe fringance et souplesse
pour donner une belle impression de fraîcheur.
Chardonnay, viognier et marsanne pour un assemblage très séduisant, aérien et facile à boire.
Eraus 2009 : le nez est vif avec des notes de fruits blancs et d’herbe fraîche, la
bouche est simple mais élégante avec une finale bien sapide.
Une cuvée 100% sauvignon qui ne renie pas son ascendance mais qui présente un équilibre très gourmand.
Albaran 2009 : le nez est discret mais la bouche révèle une matière ronde mais
solidement charpentée et une finale épicée avec une belle allonge.
Cabernet sauvignon et syrah composent cette cuvée corsée mais parfaitement équilibrée.
Mazet du Levant 2010 : le nez est fruité et épicé et la bouche révèle des tanins
souples et une belle sensation de mâche gourmande.
Un assemblage très plaisant de cabernet sauvignon, de merlot et de grenache où chaque cépage apporte sa touche personnelle…une
cohabitation réussie !
Terra 2010 : le nez est fermé, la matière en bouche est dense et concentrée avec une
palette délicieusement florale qui s’épanouit progressivement.
Ce premier vin estampillé AB de la production du Moulin est un assemblage de raisins de grenache et de syrah issus de
l’agriculture biologique…un pas supplémentaire dans la recherche qualitative sur cette gamme. Bravo !
La série pour la mise en bouche
Voilà une rencontre impromptue mais tout à fait positive avec une gamme de vins qui ne m’avait pas forcément séduit lors
d’une première dégustation il y a une dizaine d’années. Ces cuvées étonnent par leur précision aromatique et leur équilibre frais et digeste : de jolis vins languedociens aux profils très
diversifiés et avec un très bon rapport Q/P.
Avant d’attaquer la dégustation des crus de Daumas Gassac, Roman Guibert me propose une promenade dans les différentes parcelles cachées dans la forêt de garrigue
de la Haute Vallée du Gassac : une mosaïque de petites surfaces plantées de vignes dans des clairières.
Aimé Guibert a choisi cette forme de culture dans le but de respecter le site naturel tout en bénéficiant de l’écosystème des haies pour le bien-être de la
vigne.
A côté du domaine la fameuse vigne de cabernet sauvignon de Peyra Fioc
Plus haut, des rangs de petite arvine.
Une parcelle de viognier et une belle vue sur le Larzac.
Arrivés au sommet de ces collines nous nous installons dans le bureau en plein air de la famille Guibert : deux vieux bancs en bois à l’ombre d’un bosquet et à
côté d’une parcelle de cabernet sauvignon.
Une vigne de cabernet sauvignon vue du « bureau »
C’est dans cette ambiance calme et bucolique que Roman Guibert répond à mes questions sur son domaine :
1. D après le Guide Bettane 2011 le rouge 2008 est « marqué par des levures brettanomyces qui perturbent
l’aromatique » que s’est-il passé ?
Roman Guibert ne comprend pas qu’un guide sérieux puisse publier un verdict aussi définitif sur un vin. « Nous avons évidemment fait analyser ce
vin avant de le commercialiser et le taux de levures brettanomyces était normal ». L’affaire a effectivement fait grand bruit au domaine mais après un « conseil de
famille » les Guibert ont décidé de ne pas attaquer le critique imprudent mais d’envoyer une nouvelle série de bouteilles à la rédaction du guide pour qu’ils puissent réviser leur
jugement…Beaux joueurs quand même !
2. Qu’en est-il des aptitudes au vieillissement des vins de Daumas Gassac ?
Les rouges sont résolument de grands vins de garde « mon père leur attribue 5 vies
différentes (fruit jusqu’à 3 ans, jeunesse de 3 à 7 ans, maturité de 7 à 14 ans, plénitude de 14 à 21 ans et rêve au delà de 21 ans), mais pour moi, les rouges de Daumas
Gassac sont à boire après 7 ans minimum et bien plus si possible si on veut ressentir la complexité que leur transmet leur terroir »
Les blancs ont effectivement 2 vies bien différenciées « ils se goûtent avec beaucoup de fraîcheur
et un fruité riche et complexe dans leur jeunesse » mais après quelques années de garde (3 à 6 ans) leur profil change avec l’apparition de saveurs oxydatives
« le vin gagne en précision et en complexité avec des notes de miel, de cire, d’acacia et d’épices, mais le côté oxydatif peut s’avérer déroutant pour certains dégustateurs…je
conseille à tous ceux qui n’aiment pas ce type de vins de se faire plaisir en buvant les blancs de Daumas dans les 2 premières années ».
Depuis quelques années d’ailleurs les blancs du domaine sont élevés exclusivement en cuves inox après une macération pelliculaire à basse température de 6 à 10
jours : un procédé destiné à favoriser le développement aromatique.
Une parcelle de chardonnay sur les hauteurs au dessus du Mas.
3. Qu’est-ce qui distingue encore Daumas Gassac des autres grands vins du Languedoc ?
Dans les années 70 cette question ne se posait pas, les vin de Daumas constituaient une sorte d’exception dans un paysage viticole surtout connu pour sa production
de piquette à bas prix…Mais aujourd’hui il est indéniable que dans cette région il ne manque ni grands vins ni domaines réputés et reconnus pour concurrencer Daumas Gassac dans l’élite
languedocienne.
Mais Roman Guibert est très serein car pour lui Daumas reste unique à plus d’un titre :
- Le sol « le terroir de grèzes glaciaires, fait de petits cailloux friables est absolument
fabuleux »
- Le microclimat « par un effet de piémont, les masses d’air froid du Larzac s’engouffrent dans la Haute
Vallée du Gassac et assurent une fraîcheur nocturne en été (le thermomètre peut descendre à 5° en plein été) en apportant de l’acidité aux fruits tout en concentrant les
arômes »
- La viticulture : « les sols sont vierges de toute molécule de synthèse depuis le défrichage des
parcelles jusqu’à aujourd’hui »
A ceci s’ajoute bien évidemment, les parcelles en clairière dont nous avons déjà parlé, les vendanges exclusivement manuelles et, bien sûr, des rendements très
faibles (30 à 35 hl/ha).
- L’encépagement : des plants non clonés, des cépages rares et le fameux cabernet sauvignon pour les rouges : un
choix d’abord affectif « mon père a toujours aimé le vin de Bordeaux… » mais qui a rapidement trouvé sa justification après l’étude approfondie de ce terroir
particulier « en fait, si on ne considérait que l’aspect géologique, le pinot noir trouverait ici une terre d’élection mais ce cépage n’aime pas avoir trop chaud alors que le
cabernet sauvignon atteint régulièrement des niveaux de maturité optimaux sur les parcelles de Daumas Gassac ».
Des vieux pieds de cabernet sauvignon au printemps taillés en Guyot simple.
En bas, le chais dont une grande partie est souterraine et en haut la maison d’habitation, le tout entouré de vignes et d’arbres…un lieu
qui me fera toujours rêver !
4. Où se situe Daumas Gassac par rapport à l’élite languedocienne actuelle ?
Roman Guibert n’a aucun souci avec la concurrence ; il est persuadé que l’augmentation du nombre de domaines qui se lancent dans une production qualitative et
haut de gamme constitue un plus pour la région : « lorsqu’on avance ensemble, tout le monde en profite ».
Ce jeune vigneron est également l’un des principaux organisateurs du Salon des Vins d’Aniane qui a lieu chaque année à la fin du mois de
juillet.
Malgré cette concurrence positive Daumas Gassac peut s’honorer d’être resté fidèle à son éthique « nous continuons de rechercher la conception de
produits sincères et vrais sans faire des concessions à une quelconque stratégie commerciale (…) ce n’est pas parce que nos vins sont mondialement connus qu’ils doivent forcément plaire à tout le
monde ».
La seule chose qui ait changé depuis les premiers millésimes, c’est la conception du blanc de Daumas Gassac avec le remplacement du muscat de Frontignan par le
chenin et l’abandon des élevages en bois ; pour le reste si les vins du domaine paraissent plus faciles d’accès dans leur jeunesse, c’est un effet de l’âge des vignes « une
vieille vigne produit souvent des vins plus aimables ».
Actuellement Daumas Gassac vend pratiquement toute sa production en primeur à une clientèle fidèle et très cosmopolite…des vins critiqués mais largement
plébiscités !
Après notre entretien nous repartons vers le chai et le caveau de dégustation sans oublier de s’arrêter devant la coupe géologique naturelle au dessus de Peyra Fioc
pour une dernière explication au sujet du terroir
Les grèzes de Daumas Gassac.
Schémas explicatifs tirés du livre de Alastair Mackenzie « Daumas Gassac – The birth of a Grand Cru »
De retour au caveau je termine cette visite passionnante par la dégustation des deux cuvées de Daumas Gassac :
Rouge 2009 : le nez est pur mais très réservé avec des notes de fruits rouges confits et
d’épices douces, l’attaque en bouche est franche et bien vive, la matière est voluptueuse, les tanins sont fins et serrés et la longueur aromatique est déjà considérable.
Comme je l’avais déjà ressenti lors d’une première dégustation à l’automne, le 2009 possède un velouté assez rare en bouche mais
la présence tannique reste bien marquée et fidèle au portrait brossé par Roman Guibert lors de notre entretien « complexe, austère et sans concession dans sa prime
jeunesse »…Patience !
Blanc 2010 : le nez est discret et très complexe, la bouche est ample et assez
puissante, l’équilibre final est frais…et le verre vide embaume la violette.
Très jeune sur le plan aromatique mais doté d’une jolie silhouette en bouche avec de belles promesses parfumées en finale…une
petite friandise à venir !
Le couple royal du Mas
Durant cette discussion franche et sans langue de bois, Roman Guibert a apporté des réponses claires et argumentées à mes
questions sur ce domaine. J’ai été très agréablement surpris par cette entrevue qui a confirmé que le respect du client n’est pas un vain mot à Daumas Gassac. J’ai été particulièrement
impressionné par ce jeune vigneron qui connaît parfaitement son exploitation et qui en parle avec justesse et sensibilité.
Ce domaine assume pleinement son image atypique dans cette région viticole tout en gardant une ligne d’exigence absolue
dans le respect des terroirs et la haute tenue des vins produits.
Le visiteur est accueilli dans une structure moderne et savamment étudiée avec un protocole qui fait penser à celui des
grands châteaux bordelais, mais le tour du propriétaire est beau et instructif et la dégustation de la gamme complète toujours au programme.
Amis dégustateurs, pour tout ça et pour la troublante beauté de ce vallon, ne ratez pas cette étape si vous passez du côté
d’Aniane !
Aniane vue des collines.
Cette belle entreprise créée de toutes pièces par Aimé Guibert donne une impression de cohérence absolue à tous les
niveaux : un choix original d’implantation dans un site particulier, une pratique viticole respectueuse de l’environnement, des vinifications les plus naturelles possibles dans des chais
conçus dès les années 70 avec un souci de Haute Qualité Ecologique, la conception de cuvées qui magnifient l’expression des terroirs…un projet réfléchi, logique et terriblement bien réalisé.
Chapeau bas !
Les crus de Daumas Gassac assument sereinement leur place marginale dans la production languedocienne : particuliers
dans leur style mais avec une exigence qualitative maximale sur chaque millésime.
2009 a apporté au vin rouge du Mas une chair riche et une structure puissante : un cru d’année chaude qui se
dégustera facilement à chaque étape de sa vie.
Le blanc 2010 est marqué par cette belle fraîcheur qui le rendra particulièrement agréable dans sa prime jeunesse mais qui
garantira aussi un beau potentiel de garde pour ceux qui voudront s’initier au mystère de la seconde vie…bref un couple idéal pour qui veut approcher l’esthétique des vins de Daumas Gassac. A bon
entendeur… !